Eté 1999, j'ai 18 ans, je bosse comme serveuse dans un des restaurants d'un grand parc d'attractions de la région parisienne.
J'ai passé un été formidable, j'ai beaucoup changé en très peu de temps, je me suis découverte.
J'étais introvertie, je pleurais dès qu'un visiteur me parlait mal puis au fil du temps, j'ai réussi à me maîtriser, je suis devenue quelqu'un avec le contact client facile et même que j'arrive à ne pas me démonter alors que je me fais insulter (j'attends juste d'être toute seule pour aller chialer et évacuer mon stress).
Je suis avec mon petit copain de l'époque depuis un peu plus d'un an. Appelons-le "G".
G part chaque année en vacances chez sa meilleure amie. Sa meilleure amie est grosse et moche, c'est la petite copine d'un de mes camarades de classe, je ne suis même pas jalouse. Enfin si, un peu puisque G doit rentrer de vacances un jour bien précis et que le jour dit, lorsque je sonne chez lui, je suis accueillie comme une merde par son frère (que j'avais tiré de sa sieste visiblement) qui me dit que G n'est pas rentré de vacances. Ah l'enfoiré. Et moi je n'ai pas de nouvelles.
Au boulot, je me fais draguer. Ca ne m'était jamais arrivé de me sentir attirante, je vous rappelle que j'étais la moche à l'école. La première fois que je me fais draguer, je crois que le mec se fout de moi, tellement je n'y crois pas qu'une fille comme moi attire un mec comme lui (vous comprenez pourquoi j'adore la série Ugly Betty ou Le Destin de Lisa). C'est vrai que j'ai appris à me mettre en valeur, mais de là à passer de la moche que personne ne remarque à une fille que les mecs convoitent, je suis surprise. Surprise mais flattée.
Je repousse les avances de ces mecs, les uns après les autres, je suis en couple voyons. Pff, en couple à 18 ans? N'importe quoi. C'est ce qu'on me dit. Et d'ailleurs, moi-même, je sais que je ne suis pas sincère avec G, je sais très bien que ça ne durera pas toute la vie.
G revient enfin de vacances. Je lui passe un savon phénoménal, je lui dis que je le quitte. Il menace de mettre fin à ses jours. Je sais qu'il est fragile, il est sensible, je n'ose pas. Alors bien que je ne l'aime pas, je reste. Je sais maintenant, après toutes ces années, que je lui ai fait bien plus de tort en restant en couple. Vous comprendrez pourquoi plus tard.
Mon boulot d'été se termine. Pour une fois, je ne me suis pas sentie en décalage, je n'ai pas été rejetée par les autres, ils m'ont acceptée et m'ont appréciée telle que j'étais, j'ai adoré bosser dans ce parc. J'en ai même pleuré mon dernier jour.
Normalement, pour ton dernier jour, tu dois te faire bizuter. Toute l'équipe nettoie proprement une énorme poubelle puis la remplit d'eau et doit te jeter dedans. J'ai réussi à esquiver le truc en suppliant un de mes supérieurs de ne pas m'infliger ça, j'étais une de ses chouchouttes et mon air de petite fille lui a donné pitié.
Quand tu finis ton contrat, les ressources humaines notent dans ton dossier "réembauchable" ou "non réembauchable". Si tu fais bien ce qu'il faut, tu peux revenir bosser dans le parc à l'avenir. Sinon, oublie. J'étais donc réembauchable.
Octobre 1999, j'entre à la fac de Paris 8 pour un Deug de médiation culturelle et communication.
J'y vais sans grande conviction. Les cours que je trouve sympa sont ceux sur la communication, la psychogénétique, la sémiologie, l'atelier vidéo (on a tourné un film, c'était génial) et l'histoire de l'art. Les autres cours ont si peu d'intérêt que j'ai même oublié que j'avais d'autres cours.
J'ai retravaillé dans le parc d'attractions pour les fêtes de fin d'année mais j'y reviendrai plus tard.
Un matin alors que je me rends à la fac, j'effectue ma correspondance de RER/métro, une femme asiatique très classe m'aborde. Elle a la trentaine, elle est super belle. Elle me dit qu'elle a une agence de modèles asiatiques et qu'elle aimerait me voir. Elle recrute en ce moment du personnel pour un endroit hype hyper tendance à Paris, un bar ambiance asiatique situé avenue Georges V, pas loin des Champs Elysées. Tout le personnel du bar est d'origine asiatique, c'est le concept. Elle me parle d'une place d'hôtesse.
Je prends sa carte. Je me rends à son rendez-vous au bar en question. C'est trop classe pour moi, voilà la première impression que j'ai. Moi je me suis pointée en jeans, les nanas sont hyper bien sapées, je me sens nulle. Elles sont toutes sublimes. C'est un lieu branché, j'apprends que des célébrités viennent souvent. Finalement, j'obtiens un poste mais pas celui d'hôtesse, parce que je ne mesure qu'1m63 donc je suis trop petite. J'ai un poste de commis de salle. Je travaille chaque dimanche pour le brunch, je veille à ce que le buffet soit toujours plein, je sers les boissons aux clients de table en table. Toutes les serveuses ont la même tenue: un petit t-shirt tout simple, une petite jupe noire, un tablier, on doit porter des chaussures noires. Les hôtesses elles, ont de sublimes robes chinoises, elles sont chargées d'accueillir les clients et de bichonner les VIP.
Un jour, j'entends celle qui m'a recrutée dire qu'il lui manque une danseuse pour la soirée nouvel an chinois organisée au bar. Apparemment, c'est super bien payé. Je lui dis alors que je danse très bien si elle a besoin. Je ne mens pas, je danse très bien même si je n'ai jamais pris de cours de ma vie, je me débrouille très bien sur la musique. Et puis j'ai vu Fame, Flashdance et Dirty Dancing quoi.
Ok, de toute façon, elle n'a pas le temps de trouver quelqu'un d'autre, ce sera moi. Seul impératif: avoir des chaussures à talons. Les tenues, c'est elle qui les fournit.
Le fameux soir, je vois les autres danseuses, je comprends qu'on est loin de Fame. Nous sommes toutes asiatiques, normal, soirée nouvel an chinois. Quand je regarde les tenues, je manque de m'étouffer. Je vais danser en microshort et en mini top. J'ai 3 tenues parce que je dois faire 3 passages de 20 minutes, mais les 3 tenues se ressemblent fort.
Je me retrouve donc sur un podium à danser pendant que les gens mangent et boivent. Je danse le plus normalement du monde, rien de sexuel ou de suggestif, mais ma tenue ne m'aide pas et je me sens salie par les regards des hommes mais aussi par celui des femmes qui nous dénigrent. Je ne leur en veux pas, moi aussi je ferais la gueule si mon mec regardait plus la danseuse qui est loin que son assiette devant les yeux. A chaque fois qu'un mec essaye de s'approcher de mon podium, je met un coup de talon près de sa main, j'ai le droit, on m'a dit qu'aucun client ne devait me toucher. A un moment, alors que je descend du podium, un homme me saisit par la taille, tétanisée de peur, je n'ose plus bouger. C'est alors qu'une des danseuses s'approche de nous en dansant, repousse le mec tout en mimant une danse et m'arrache des bras de ce type. Quel soulagement.
Pour cette soirée, j'ai gagné 500 francs. Juste en dansant 3 fois 20 minutes. Je ne suis pas très fière de moi mais je me dis que maquillée comme ils m'ont maquillée, personne ne me reconnait et puis c'est beaucoup de sous pour une étudiante comme moi. La nana me propose donc une autre soirée, dans une boîte de nuit parisienne, le Duplex près de l'Arc de Triomphe, payée 700 francs. Je dis que c'est la dernière fois que j'accepte. Pour cette mission nous ne sommes que 2, la fameuse danseuse qui m'a sauvée la soirée précédente et moi-même, parce qu'il parait qu'on assure niveau danse par rapport aux autres. Cette fois pas de podium mais la scène rien que pour nous 2. Encore 3 sessions de 20 minutes. C'est la première fois que j'entre en boîte de nuit et c'est pas en tant que cliente.
Une cliente dans la boîte me reconnait, malgré tout mon maquillage et mes microtenues. Il se trouve qu'elle est asiatique aussi, que c'est la fille qui a gagné l'élection des délégués de classe quand j'étais en 6è et qu'en plus elle est sortie avec le garçon pour qui j'avais le béguin au collège. Comme j'ai déménagé à mon entrée au lycée, je ne l'ai pas revue depuis 4 ans. Elle me fait des compliments, elle a failli ne pas me reconnaitre tellement elle me trouvait jolie, qu'elle me dit. Et puis moi en boîte de nuit, l'intello, elle n'en revient pas. Elle me demande ce que je deviens, je lui parle de la fac, de mon boulot de serveuse et qu'accessoirement, je suis danseuse ce soir. Elle connait le bar dans lequel je bosse, ça lui plairait d'y bosser qu'elle me dit. Ok, pas de souci, je sais qu'ils recrutent en ce moment alors j'en parle à celle qui m'a recrutée puisqu'elle est là dans la boîte de nuit. Je les présente l'une à l'autre.
Et le dimanche suivant, je me retrouve à bosser sous les ordres de l'autre ancienne déléguée de classe parce que cette morue ne m'a pas dit qu'elle avait de l'expérience en restauration et qu'elle était chef de rang. Elle s'est servie de moi pour avoir le job de ses rêves.
Après mes missions de gogo danseuse, le reste du personnel ne me regardait plus pareil. Les mecs faisaient des blagues lourdes, j'ai même dû menacer le chef cuisinier de lui filer un coup de genou dans les couilles s'il ne me fichait pas la paix. Un autre m'a demandé combien je prenais pour un show rien que pour lui. J'ai fini par en avoir marre. Et puis fréquenter que des asiatiques, c'est pas mon délire, je ne suis pas hyper communautariste.
Je reviens aux fêtes de fin d'année 1999, je postule à nouveau au parc d'attractions, dans le resto où j'ai bossé tout l'été.
Ces fêtes de fin d'année sont particulières: on passe à l'an 2000! Le parc est en effervescence. Moi je retrouve les potes de l'été dernier mais l'atmosphère de l'hiver dans le parc n'est pas la même. Nous sommes beaucoup moins nombreux dans l'équipe et les affinités se dessinent.
Enfin, je vous raconterai la suite dans un prochain épisode, sinon c'est trop long lol.
Vis ma vie depuis le tout début: Vis ma vie de... Fille de réfugiés politiques - épisode 1