Fin d'année 1999: c'est l'effervescence.
On va passer à l'an 2000!
Quand j'entendais parler de l'an 2000, petite (je suis née en 1981), j'imaginais un monde futuriste, digne de Retour vers le futur. On aurait fait des progrès de fou, genre les voitures voleraient ou on aurait inventé la communication par hologramme.
Bon, la réalité c'est qu'entre les années 80 et l'an 2000, il n'y a pas eu ce si grand bond en avant. Pas de voitures volantes, pas d'hologrammes (mais on a la visio alors c'est quand même bien), toujours pas de vaccin contre le sida.
Pour le passage à l'an 2000, les gens qui ont plein d'amis ont dû faire des fêtes fabuleuses. Moi à 19 ans, j'en avais très peu. Alors comme j'étais disponible parce que personne ne m'avait invitée nulle part, j'ai accepté de bosser la nuit du réveillon de la St Sylvestre: ce jour là, le Parc d'attractions était ouvert exceptionnellement tard et nous avions un bonus sur la paye (500 frs). On a aussi eu une parka collector et un badge collector.
Mon copain de l'époque, G, a prévu de faire la fête avec des copains à lui, comme je ne les aime pas, je préfère encore bosser. Au restaurant du Parc d'attractions où je travaille, les employés de mon secteur se retrouvent soit à la pizzéria, soit à la boutique de glaces accolée.
On regarde chaque matin le planning commun pour voir à quel poste on doit se tenir à l'heure précisée: par exemple je suis affectée à la pizzéria, à 10h je suis en salle (je nettoie les tables, je range les chaise, je vide les poubelles pleines, etc), à 11h j'ai une heure de caisse (je prends les commandes et les paiements), à 12h je suis au comptoir pour préparer les commandes et ainsi de suite. Le lendemain, je suis affectée à la boutique de glaces alors la journée entière c'est glaces, gauffres et crêpes à gogo. A la fin de la journée, on colle, tant on a du sucre sur tout le corps, la douche est inévitable au Costuming, l'endroit où on enlève nos tenues du Parc pour retrouver nos tenues de civils. Et aussi certains parfums de glace sont durs comme du béton genre café ou chocolat! On maudit intérieurement le client qui nous réclame une 3 boules café-chocolat lol! On se muscle le poignet à force, parce que le chocolat, c'est un parfum très apprécié.
J'aime malgré tout être à la boutique de glaces, rien que parce que je vois si la glace que je façonne ou la gauffre que je couvre de chantilly va à un enfant ou pas. Je mets des doses généreuses quand il y a des enfants, je suis tellement contente de voir leurs visages s'illuminer à la vue de l'énoooooooorme glace ou de l'immeeeeeeeense couche de chantilly recouvrant leur gauffre ou leur crêpe.
Depuis plusieurs jours, un de mes collègues, qu'on appellera C, n'arrête pas de tenter de me séduire. Il n'a d'yeux que pour moi, il est beau comme un acteur de cinéma, il me fait la cour comme un prince à sa princesse et ça ne me laisse pas indifférente, même si je le repousse systématiquement. Je n'ai pas l'habitude de me faire draguer, à l'école, j'étais loin de faire partie des jolies filles, j'ai juste appris à me mettre un peu en valeur.
Le jour de la St Sylvestre, il se met même à genoux devant moi, très théâtralement devant tout le monde, ainsi que devant les visiteurs, à la boutique de glace et il me fait une déclaration d'amour comme personne ne m'en a jamais fait. Il dit qu'il m'aime et qu'il ne peut pas vivre sans moi. Je suis flattée, je lui demande de se relever, je ne sais plus où me mettre mais je souris.
Plus tard dans la soirée, un visiteur vient me pourrir parce qu'il estime que je ne lui ai pas servi un cappuccino. Pourtant, sur notre carte, il est bien précisé qu'un cappuccino, c'est un café avec du chocolat recouvert de crème chantilly et de copeaux de chocolat, c'est bien ce que je lui ai servi. Il me traite de tous les noms, il est vraisemblablement énervé, il a dû passer une journée de merde et il a décidé de se défouler sur un employé qui fermera sa gueule.
C'est tombé sur moi.
Ca arrivait assez fréquemment aux autres aussi, et ça m'arrivera encore, aussi dans ma carrière de vendeuse des années plus tard. Quand on fait un métier au contact de la clientèle, c'est le risque: le client considère parfois qu'on est là pour lui permettre de se défouler.
Ce visiteur mécontent passe donc ses nerfs sur moi, avec plus d'acharnement que je n'en reçois d'habitude. Je vois un peu plus loin sa petite amie qui a l'air un peu honteuse, limite consternée mais elle reste silencieuse. Elle a vu que je l'avais observée, elle a détourné son regard.
Si je voyais mon mec traiter quelqu'un avec autant de mépris, je lui dirais qu'il n'est qu'un minable et qu'il n'a rien à faire dans ma vie, mais ça c'est moi, l'idéaliste de service.
C arrive, alerté par les cris du scandale crée par le visiteur. Il me voit sur le point de fondre en larmes. D'ailleurs, quand je le vois, j'ai tout de suite envie de pleurer, d'émotion, parce qu'il est celui qui vient à mon secours.
En fait, il ne restait jamais loin de moi, il s'arrangeait pour être dans la même équipe que moi quand il le pouvait. Il me dit qu'il va s'occuper du visiteur, qu'il faudrait que j'aille me reposer un peu. Il me prend doucement dans ses bras pour me réconforter, il me demande si ça va. Je secoue légèrement la tête pour le rassurer et je pars en backstage, dans la salle de repos, pour pleurer un grand coup.
Je suis fière de moi, je n'ai presque pas craqué devant le visiteur, parce que c'est ce qu'ils cherchent plus que tout, réussir à vous faire craquer et je n'ai pas craqué!
A ce moment-là, je ne pense plus vraiment à G. En fait ça fait un moment que je ne pense plus à G comme à un amoureux. Mais comme il est fragile, je n'ose pas le quitter. Il a menacé de se suicider si je le faisais. Je pense qu'il n'aurait pas la stupidité de le faire mais il se drogue alors il n'a pas vraiment les idées claires. Je sais bien que ça ne durera pas toute la vie lui et moi, je me dis qu'un jour, il se lassera et partira de lui-même, naïve que je suis à 19 ans. Nous n'avons pas vraiment une vie de couple de toute façon. Il ne supporte pas mes potes, je ne supporte pas les siens, la plupart sont comme lui, accro aux "prod" comme ils disent. A part se piquer, ils ont tout essayé. Moi ça ne m'a jamais tentée. Un petit pétard pourquoi pas mais jamais plus fort. J'ai vu Trainspotting quand même.
Moi je fais l'effort quand même de les côtoyer. G, lui ne se donne pas cette peine avec mes potes. Il dit que mes potes sont des parisiens snobinards, alors que lui et moi, nous venons du même milieu, de notre banlieue pourrie. Plus tard, "toi t'es devenue une parisienne" deviendra son attaque favorite.
Revenons-en à C: je connais sa réputation de joli coeur, toutes les filles craquent sur lui, d'ailleurs certaines sont déjà sorties avec lui. Il est plus âgé que moi, j'ai bientôt 19 ans, il en a 22. Il fait des études de maths et informatique appliqués aux sciences, à la fac de Marne la Vallée. Je me sens de moins en moins capable de résister à ses avances. Je me dis que c'est mal par rapport à G.
G est encore en vacances chez sa fameuse meilleure amie (comme dans l'épisode précédent), encore une fois, il ne donne aucune nouvelle.
La spécialité du Parc, ce sont les feux d'artifices, ils sont lancés depuis la cour arrière du restaurant. Chaque soir, des feux d'artifices. C'est beau, souvent tous ensemble, vu que le restaurant est vide à cette heure-là, on le regarde.
A minuit ce jour-là, on crie tous "bonne année 2000" wouhou et on se fait la bise. C me demande justement où il est, ce fiancé pour lequel je refuse ses avances, pourquoi je ne passe pas les fêtes de fin d'année avec lui. Ben, à vrai dire, j'en sais rien. Après notre nuit de boulot, au petit matin, on se retrouve tous ensemble au Costuming, avec quelques potes de l'équipe, on papote encore un peu avant de rentrer chez nous.
C gagne mon coeur, petit à petit.
Avant de nous dire au revoir, il m'embrasse et je ne le repousse pas.
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Vis ma vie depuis le tout début: Vis ma vie de... Fille de réfugiés politiques - épisode 1