J'ai posté l'épisode 3 en août 2011. Je n'arrivais pas à écrire quelque chose de satisfaisant pour la suite mais cet épisode 4 resterait pour toujours dans mes brouillons si je m'écoutais et je me dis qu'avoir de trop hautes exigences alors qu'après tout, ce n'est qu'un blog même pas connu, c'est idiot. Alors voilà!
Je vais changer les prénoms, parce qu'en fait n'écrire qu'une initiale ne facilite pas la lecture je pense. C devient donc Charles et G devient donc Gustave.
Charles m'embrasse au petit matin du 1er janvier 2000 en sortant du Costuming, le bâtiment où on se change, là où on met nos costumes du Parc. Et bien que je sois déjà "en couple" depuis plus d'un an avec Gustave, je ne repousse pas Charles (je mets "en couple" entre guillemets parce que je trouve que l'expression fait mamie).
J'ai 18 ans à ce moment-là (bientôt 19) et je n'ai encore jamais vécu de situation semblable.
J'ai toujours fait partie des boloss comme disent maintenant les jeunes. Je n'avais jamais été courtisée par un garçon (c'est délicieux en fait, on se sent comme une héroïne de film, comme une princesse ou comme une fille super canon qu'on n'est pas).
Tout se bouscule dans ma tête, c'est l'euphorie, tout tourne. J'ai le coeur qui palpite et le rythme de ma respiration qui s'accélère. La voix de la gentille Moi dans ma tête me crie que ce que je fais est mal, que je vais forcément faire souffrir Gustave, que c'est injuste pour lui. Mais mon corps, mes mains et mes lèvres n'en ont strictement rien à cogner. C'est la méchante Moi qui prend le dessus.
Je me sens mal vis-à-vis de Gustave. Mais je me sens tellement bien dans les bras de Charles qu'égoïstement, je m'en fiche. C'est un baiser tendre et fougueux à la fois, comme au cinéma. D'ailleurs j'entends une petite musique qui se joue dans ma tête. J'ai cette manie d'entendre des petites musiques dans ma tête, comme une bande originale de film, qui défile le long des scènes de ma vie (j'aurais pu être le personnage de Jess de la série New Girl, que j'adore, je vous en informe au passage).
Personne ne m'a jamais fait la cour, avant Charles. Peeeersonne.
C'est moi qui ai fait le premier pas avec chacun de mes petits copains précédents, y compris Gustave. J'étais obligée, parce que sinon j'attendrais probablement encore que quelqu'un daigne essayer de me draguer. Or on ne me draguait jamais, je n'intéressais personne, je faisais partie des filles invisibles, moches (ou inaccessibles? lol).
Je ne comprends pas trop ce qui m'arrive. L'un des plus beaux garçons que je côtoie au boulot n'a d'yeux que pour moi, fait tout pour passer du temps avec moi, profite de la moindre occasion pour me toucher la main et me complimente sur ma beauté à longueur de journée.
Je suis une faible jeune fille, je ne suis pas préparée à ça. Les jolies filles doivent avoir l'habitude elles, peut-être que ça ne leur fait plus rien de se faire draguer alors qu'elles sont déjà en couple.
Ou alors je dois me rendre à l'évidence qui est là depuis plusieurs mois: je ne suis plus amoureuse de Gustave. Il faut que je le quitte. Il me menacera encore probablement de se suicider si je fais ça, comme la dernière fois que je lui ai parlé de séparation. Mais au bout du compte, nous n'en serons que plus heureux tous les deux et il s'en remettra après tout! Que sait-il de l'amour? Nous sommes si jeunes et je ne suis que sa toute première petite copine, comme il est mon tout premier petit copain...
Gustave est en vacances depuis plusieurs jours chez sa meilleure amie et il ne m'a donné aucun signe de vie, comme la dernière fois. Je ne sais pas vraiment quand il rentrera mais je décide de rompre avec lui à son retour (ça ne se fait pas par téléphone voyons!)
Pendant quelques jours, je ne vois pas Charles non plus qui est cloué au lit avec une grippe mais nous nous parlons régulièrement au téléphone. Je repense à la douceur de sa peau veloutée, au contact de ma main sur son torse et à l'odeur de son cou. Je me demande s'il a autant envie de moi que moi j'ai envie de lui. Il est désirable, c'est normal que j'ai envie de lui. Mais je me demande encore ce qu'il peut bien me trouver à moi, la petite asiatique sans poitrine avec une dent de travers. Pourquoi s'intéresse-t-il à moi?
Gustave finit par enfin revenir de ses vacances. Il daigne enfin m'appeler. Charles s'est remis de sa grippe et nous avions prévu de nous voir. Mais je dois rompre avec Gustave d'abord. Je passe voir Gustave chez lui (enfin, chez sa mère, nous vivons tous encore chez nos parents à cette époque) et la discussion tourne au mélodrame comme je l'avais prédit. J'ai beau lui dire que je ne lui reproche rien (et pourtant j'avais des choses à lui reprocher) et que tout est de ma faute, que nous sommes trop jeunes pour nous engager dans une relation sérieuse, que j'ai rencontré quelqu'un d'autre, mais rien n'y fait, il persiste à me dire qu'il m'aime. Moi je voulais qu'il me déteste, qu'il me jette hors de chez lui, qu'il me dise que je ne suis qu'une sale minable qui ne le méritait pas. Tout aurait été tellement plus facile.
Je le quitte quand même. Tant pis si j'ai le mauvais rôle (comme une gourdasse que j'étais, je finirai par revenir vers lui plus tard mais ça, c'est une autre histoire).
Je suis sortie avec Charles ensuite.
Enfin, sortir, c'est vite dit. On a couché une pauvre fois ensemble et il m'a fait comprendre ensuite qu'une relation suivie ne l'intéressait pas. Enfin j'ai compris toute seule vu qu'il ne répondait plus à mes messages et qu'il m'évitait au boulot. Pourtant ce n'était pas aisé de le faire, le restaurant du Parc où nous bossions n'était pas gigantesque non plus. C'était même ridicule de le voir déguerpir alors qu'on était censé veiller ensemble à la sécurité de la parade du Parc ou échanger son poste de caisse avec un autre pour ne pas être trop près de ma caisse à moi.
Bon sang, j'ai couché avec un lâche.
Pire que ça, j'ai la nette impression que tous nos collègues sont au courant parce qu'ils arrêtent tous de parler quand j'arrive près d'eux au comptoir ou en salle de pause.
Et ça se confirme. Une de nos collègues bien plus âgée que nous vient me parler parce qu'elle voit bien que personne ne me parle comme d'habitude. Elle m'affirme que Charles a dit à qui voulait l'entendre qu'il m'avait eue, qu'on avait couché ensemble et qu'en plus j'étais du genre sonore pendant le sexe.
Consternation. Moi la gentille boloss que personne ne drague jamais, me voilà transformée en fille facile (et pourquoi a-t-il eu besoin de dire que j'étais bruyante, enfoiré).
Je me sens sale. Je voudrais rentrer chez moi me cacher et ne plus jamais sortir. Je m'imagine démissionner alors que j'adore ce boulot, pour ne plus avoir à les affronter. Eux et leurs regards lourds de jugement. Pourquoi lui, on le traite en héros parce qu'il a couché avec une fille de plus? Alors que moi, on me dévisage parce que j'ai craqué pour lui pourtant il est seulement le 2ème homme avec qui j'ai couché dans toute ma vie? Pourquoi?
Mais je me ressaisis. Je suis au boulot. Je bosse. Je ne m'occupe pas plus des autres. Et encore moins de Charles.
Au contraire, je me force à être plus souriante que jamais, pour les visiteurs du parc, pour les enfants, je me dis que je ne dois montrer à personne que ça m'affecte.
Surtout pas à Charles.
Punaise quand je repense à la façon dont il m'a embobinée, j'ai envie de gifler la gourdasse que j'étais. Comment ai-je pu être aussi naïve? Comment un garçon aussi mignon pouvait-il s'intéresser à moi? J'ai été bien bête de croire que je pouvais être une fille courtisée, que je pouvais être assez jolie pour être vue avec un beau mec comme lui.
Petit à petit je réintègre les groupes des uns et des autres en salle de pause. La période de gêne est passée, les collègues sont passés à autre chose. On ne parle plus de Charles qui a réussi son coup. D'ailleurs il a une nouvelle fille dans le collimateur et c'est là que je constate qu'il exécute le même plan à chaque fois. Ils sortent ensemble et passent à autre chose.
De mon côté, je rencontre un jeune nouveau collègue italien pendant que je fais le service au comptoir. En fait au restaurant nous avions des frigo qui s'ouvrent des deux côtés. Lui son boulot c'était de les remplir pour que moi de mon côté du comptoir je puisse avoir toujours des tartes aux pommes (surgelées décongelées) pour les visiteurs qui en commandent. Je ne l'avais jamais vu, il ne m'avait jamais vue, nous avons ouvert nos portes en même temps et nous n'avons vu que nos yeux entre deux étagères de tartes aux pommes. J'ai vu dans ses beaux yeux bleu clairs qu'il m'avait souri. J'ai refermé la porte parce que j'ai eu peur. J'ai fini par sortir avec lui plus tard, j'ai d'ailleurs remarqué lors d'une soirée où toute la bande était réunie que Charles avait l'air jaloux (haha je ne pouvais être que sa chose à lui), mais je n'y ai pas porté d'attention (ça n'en méritait pas). L'italien et moi, nous avons eu une jolie histoire, qui s'est terminée parce qu'il est reparti pour l'Italie et que moi, les relations à distance ne m'intéressaient pas. Il était adorable pourtant, s'il était resté, je pense que ça aurait pu durer, même s'il avait les mains toutes calleuses parce qu'il jouait bien du djembé.
En fait dans ce Parc, c'est comme ça. Les relations se font et se défont, on est jeune, on s'amuse, d'ailleurs on passe nos soirées à faire la fête dans les résidences près du Parc où les employés qui le demandent peuvent louer un logement.
Un soir c'est soirée chez les espagnols, le lendemain les québécois, le surlendemain les italiens etc. Il y avait toujours moyen de s'incruster à une fête quelque part, tout le monde était le bienvenu, du moment qu'on faisait partie de la même entreprise.
C'est dans ce Parc que j'ai le plus appris à vivre "comme les autres". Il n'y avait plus aucun décalage, je faisais partie de plusieurs groupes de potes, j'étais appréciée, je n'étais plus une bouffonne sans ami, je n'étais plus l'intello numéro 3 (je suis désolée mais pour mieux comprendre il va falloir vous taper les épisodes précédents).
Tout allait super bien. Et tout a fini par revenir à la normale!
J'ai fini par prendre un peu plus confiance en moi. En fait, grâce à Charles, j'ai compris que je n'étais pas une boloss moche. Enfin, surtout après lui dans ce Parc, j'ai rencontré pas mal de garçons comme l'italien, tous plus mignons les uns que les autres et j'ai même eu d'autres histoires d'amour sérieuses.
J'ai évolué un peu. Je peux dire que j'ai bien vécu!
Ces années où j'ai rencontré des personnes venant des 4 coins du monde sont des années inoubliables. J'étais obligée de discuter avec les nouveaux arrivants en anglais parce qu'ils ne parlaient pas encore un seul mot de français mais c'était fascinant de les voir devenir complètement bilingues voire polyglottes en seulement l'espace d'un mois d'immersion dans l'univers de ce parc.
J'ai gardé des copains de cette époque. On se suit sur Instagram (pas la peine de me chercher, mon profil est privé). Il y en a un qui s'est installé en Finlande, j'adore ses photos, les décors sont juste sublimes. Un autre a cofondé une plateforme d'actualités participative qui fonctionnait bien, il a revendu et bosse maintenant sur un autre projet, il vient de s'installer à Berlin avec son amoureuse américaine.
Si j'avais à nouveau 18-20 ans, je crois que je retournerais travailler là-bas. C'est une formidable expérience humaine et je crois que je suis en grande partie la femme que je suis aujourd'hui grâce à cette expérience.
L'été dernier, j'ai emmené mon mari et mes deux fils dans le Parc, en tant que visiteurs, j'étais ravie de partager ce bout de ma vie avec eux. J'ai déjà hâte d'y retourner.